Les forêts d'Île-de-France jouent un rôle essentiel pour la biodiversité, la santé des habitants et l'environnement. Bien plus que de simples lieux de promenade pour les 100 millions de visiteurs chaque année, ou de réserve de bois et de gibiers, les forêts franciliennes sont avant tout des espaces de nature insérés pour la plupart dans un tissu urbain dense, dans une région qui abrite 19 % de la population française, sur seulement 2,2 % du territoire.
Pourtant, leur gestion qui repose sur la multifonctionnalité, suscite de nombreuses contestations, notamment celles des cloisonnements forestiers.
Pourtant, leur gestion qui repose sur la multifonctionnalité, suscite de nombreuses contestations, notamment celles des cloisonnements forestiers.
Les cloisonnements pour l’exploitation forestière optimisée
L'intensification de la mécanisation forestière conduit à la dégradation et l'appauvrissement des sols forestiers, par le compactage, l’asphyxie et l’imperméabilisation des sols, causés par le passage des engins lourds dans les parcelles forestières. Un réseau de pistes appelées « cloisonnements d’exploitation » est aménagé pour la circulation des machines. En limitant les passages répétés à ces "routes" balisées, l’industrie du bois réduit la surface parcourue sur l’intégralité du sol forestier, tout en permettant l’extraction plus rapide du bois.On distingue deux types de cloisonnements :
- Les « cloisonnements d'exploitation », espacés d’environ 18 à 24 mètres, canalisent les engins de débardage pour limiter le tassement des sols. Les engins roulent sur les rémanents (branchages) étalés sur le sol au fur et à mesure de leur avancée.
- Les « cloisonnements dit sylvicoles », plus rapprochés jusqu’à 6 mètres, facilitent l’accès aux jeunes plants et sont utilisés lors des travaux de régénération.
À première vue, ces couloirs semblent efficaces pour allier productivité et préservation des sols. Cependant, ils suscitent des inquiétudes quant à leur impact sur le paysage et l’environnement, dans ces forêts très fréquentées, où la notion de paysage est centrale et la fonction sociale, souvent évoquée, une priorité. L'Art. L.212-2 du Code forestier souligne d'ailleurs ces objectifs prioritaires dans les forêts à forte fréquentation.
Article L212-2 du Code forestier :
[...]Dans les forêts soumises à une forte fréquentation du public, la préservation et l'amélioration du cadre de vie des populations constituent une priorité.
[...]Dans les forêts soumises à une forte fréquentation du public, la préservation et l'amélioration du cadre de vie des populations constituent une priorité.
Il fixe l'assiette des coupes.
L'arrêté d'aménagement peut, pour certaines zones, interdire ou soumettre à des conditions particulières les activités susceptibles de compromettre la réalisation des objectifs de l'aménagement.
Fragmentation, perturbation et impacts visuels de l'écosystème
Le principal problème du cloisonnement réside dans la la fragmentation de la forêt. En divisant les parcelles en sillons réguliers et parallèles, ces ouvertures entraînent une perte significative de forêt ainsi qu’une perturbation de son écosystème. Ces couloirs de 4 m de large tous les 24 m, coupés à ras, suppriment 1/6ème de la surface totale de la forêt, où plus aucun arbre ne poussera. Or, la biodiversité repose sur des écosystèmes vastes et continus.
Visuellement, ces couloirs sont parfois difficiles à dissimuler dans le paysage, surtout lorsqu'ils débouchent sur des zones très fréquentées. Ils offrent des voies de pénétration supplémentaires pour le public, mais également aux quads, motos et VTT, ainsi qu’à la cueillette jusqu'au cœur des parcelles, perturbant la faune dans des zones autrefois plus isolées.
Plus un cloisonnement est large (au-delà de 2,5 m), plus il favorise la végétation basse, une source de nourriture pour les cervidés. En laissant passer la lumière, ces layons favorisent la prolifération d'espèces exotiques et invasives, comme le laurier du Caucase, le cerisier tardif, l'ailante, un phénomène amplifié par les engins forestiers qui dispersent les graines. https://enforetavecmanon.wordpress.com/2017/06/30/le-cloisonnement-sylvicole/
Souvent rectilignes, ces couloirs rendent la chasse plus efficace en offrant des zones de tir et d'observation, et sont utilisés par certains prédateurs comme les corvidés. Cependant, le passage des machines peut avoir des conséquences désastreuses sur de nombreux petits animaux et mammifères. Les amphibiens, espèce protégée, passent leur retraite hivernale enfouis sous les feuilles ou dans des terriers, et se retrouvent écrasés.
A l’inverse de la sylviculture intensive qui repose sur des pratiques invasives, la gestion forestière plus « proche de la nature » privilégie des layons de débardage plus espacés (jusqu’à 40-45 mètres) et mieux intégrés dans le paysage. Des pays comme l'Allemagne ou la Slovénie ont adopté cette gestion, axée sur des principes d’intervention minimale, de précaution, et de production ciblée sur des bois de haute qualité, proscrivant l'usage de machines lourdes qui compacteraient et endommageraient le sol. Ce modèle préserve le paysage, la biodiversité et maintient les fonctions écologiques de la forêt.
80 à 90 % du tassement se produit entre le 1er et le 3e passage
Même limités à certaines zones de la forêt, les chemins d’exploitations ne doivent pas être endommagés. Au-delà des ornières profondes, du compactage et du scalpage, des zones plus étendues peuvent être dégradées. Un cloisonnement trop dense, ou défoncé, peut rendre les arbres plus vulnérables au vent, à la sécheresse et aux canicules, perturber la vie microbienne du sol, limiter la circulation de l'eau souterraine, augmentant le risque d'incendie.
La remise en état se limite souvent à aplanir les ornières. Mais cette solution ne permet pas de corriger les dommages profonds, ni la perméabilité du sol.
La remise en état se limite souvent à aplanir les ornières. Mais cette solution ne permet pas de corriger les dommages profonds, ni la perméabilité du sol.
De nombreuses forêts en IDF, sont classées Zones Naturelles d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique (Znieff 1 ou 2), Zone d’Intérêt Communautaire pour les Oiseaux (ZICO), Natura 2000, Forêt d’Exception, Réserves de Biosphère ou des zones inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, Parc Naturel Régional (PNR), Forêts de protection, Espace Boisé Classé (EBC) où les enjeux écologiques, environnementaux et sociaux sont forts. Or, malgré ces outils de protection, toutes ces forêt « protégées » sont soumises au code forestier, et la sylviculture y est pratiquée.
Photos (Verrières) : Écorçage d’un arbre. Une protection (manchon, butée) aurait permis de le protéger. |
Des mesures de prévention devraient être prises par le gestionnaire, particulièrement la circulation sur sols sensibles au tassement. |
En fonction du type de sol, 100 à 1000 ans sont nécessaires pour créer 1 cm de sol.
L’impact des travaux pose la question de la cohérence entre les objectifs de préservation des sols et de la biodiversité, affichés dans les plans d’aménagements, et la réalité de l’exploitation primaire des arbres sur le terrain.
Entre économie et continuité écologique : un quadrillage peu naturel
Au-delà des considérations paysagères, biologiques, il y a une perte plus subtile, presque spirituelle : celle de l’intégrité même de la forêt. Chaque cloisonnement, chaque tranchée créée une cicatrice dans la forêt, visible pour les visiteurs, les randonneurs ou les amoureux de la nature. Les forêts publiques se transforment en espace régit par la rentabilité.
L’engouement pour les promenades en forêt connait une augmentation significative, depuis la pandémie de Covid-19. Cette tendance révèle le besoin accru d’espaces naturels, pour le bien-être et la reconnexion avec la nature.
Au Japon, les « bains de forêt » ou shinrin-yoku, sont reconnus pour leurs bienfaits sur la santé. Cette pratique est intégrée dans les politiques de santé publique, pour améliorer le bien-être et la qualité de vie des citoyens.
Une étude d’opinion réalisée pour l’ONF, révèle que neuf Franciliens sur dix perçoivent la forêt comme une source de sérénité et un moyen de se ressourcer.
Une autre étude du CREDOC de 2000 met en avant le plaisir des Franciliens à se rendre en forêt pour la promenade et la beauté des grandes futaies. La sortie en forêt est un loisir gratuit et accessible à toutes les classes sociales, notamment pour les habitants des zones urbaines denses, offrant la possibilité de s’évader dans un environnement naturel.
Plusieurs associations s’opposent aux ouvertures de cloisonnements dans les forêts domaniales d'Île-de-France, perçues comme une atteinte à leur naturalité et à leur fonction écologique. Les pétitions totalisent plus de 70 000 signatures :
Plusieurs associations s’opposent aux ouvertures de cloisonnements dans les forêts domaniales d'Île-de-France, perçues comme une atteinte à leur naturalité et à leur fonction écologique. Les pétitions totalisent plus de 70 000 signatures :
Les
branchages jonchent le sol le long des layons. Ces résidus de coupes
donnent aux promeneurs la perception d'une forêt 'sale' et mal
entretenue, sans considération pour ceux qui la fréquentent. |
Une alternative existe-t-elle ?
Alors, faut-il renoncer aux cloisonnements en forêts urbaines et périurbaines ? Dans le contexte francilien, les forêts sont au cœur de conflits d’usage entre la gestion économique et les services écosystémiques vitaux (filtration de l’eau, de l’air, de la pollution, îlots de fraicheur, santé, biodiversité…). La valeur de ces services dépasse de loin celle de la vente de bois.
Une sylviculture privilégiant des techniques moins intrusives et destructrices doit être privilégiée. Allonger les espacements des cloisonnements à 40 m comme en Allemagne en prenant soin de les intégrer au paysage, adopter les recommandations spécifiques pour prévenir les dommages aux sols forestiers, notamment en utilisant des machines légères plus adaptées à la préservation des sols forestiers (dont le tassement est souvent irrémédiable), restreindre strictement le débardage aux périodes sèches sur les sols sensibles au tassement, préférer les cloisonnements sylvicoles étroits aux larges, allonger la durée d'exploitation, favoriser le débardage à cheval,... sont autant de méthodes à mettre en œuvre.
La notion de bien commun impose par ailleurs que la société civile soit pleinement intégrée aux décisions de gestion forestière et dispose d’un droit de regard sur la gestion des forêts publiques, patrimoine reçu en héritage aux générations actuelles et futures.
En Île-de-France, où les forêts domaniales subissent de fortes pressions, une approche concertée réunissant forestiers, usagers, associations, élus permettrait de concilier les attentes spécifiques locales (sociales, environnementales et culturelles), tout en limitant l’extraction la plus réduite possible des arbres coupés avant leur maturité.
En Île-de-France, où les forêts domaniales subissent de fortes pressions, une approche concertée réunissant forestiers, usagers, associations, élus permettrait de concilier les attentes spécifiques locales (sociales, environnementales et culturelles), tout en limitant l’extraction la plus réduite possible des arbres coupés avant leur maturité.
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